De l’influence de l’eau sur le vin

eric chevalier muscadet

Que ce soit un lac, un fleuve ou la mer, la proximité d’un vignoble avec une étendue d’eau joue un rôle majeur dans sa protection contre les maladies et influence le goût du vin dans le verre. Deux exemples dans la Loire et le Bordelais…

Il suffit de passer en revue quelques grands vignobles européens situés le long d’un fleuve pour se rendre compte de l’impact de celui-ci : la vallée du Rhône en France, la Saône en Bourgogne ou celle du Duero en Espagne qui devient Douro au Portugal, du Rhin en Allemagne ou de la Meuse en Belgique, pour ne citer que ceux-là.

Leur implantation ne doit bien sûr rien au hasard et si elle répond à des questions logistiques (l’acheminement des barriques ou des bouteilles) ou historiques (les villes se sont souvent installées près d’un point d’eau), elle a aussi forgé les paysages et permis le développement de terroirs dont les sous-sols ont une influence directe sur la vigne, et donc sur la qualité des vins produits.

Ayant repris le domaine familial en 2006 dans le Val de Loire en AOP Muscadet-côtes-de grand-lieu auquel il a donné son nom, Eric Chevalier confirme clairement l’intérêt de sa situation.

« Nous bénéficions même de la triple influence de l’eau : la Loire au-dessus de nous, la façade atlantique à 20 minutes de chez nous et le lac de Grand-Lieu qui tempère les risques de gelées printanières de ce climat un peu coquin. Il fait aussi tampon thermique sur les masses d’air froid, y compris l’hiver qui est moins marqué chez nous.

Dans notre petit vignoble de Grand-Lieu, on ne trouve pas que du muscadet (le nom local du melon de Bourgogne), notre cépage roi, on y trouve aussi pas mal de chardonnay, de sauvignon, et des rouges avec des cépages moins courants par ici, comme le grolleau gris, le sauvignon gris ou le pinot gris, qui sont vraiment des marqueurs de nos territoires et qui nous permettent d’élargir notre gamme. Nos sols sont sur des roches mères métamorphiques, avec des éclogites riches en minerais de fer et de la serpentinite, riche en silice, qui, avec l’érosion, créent des sols vraiment très légers.

Pour chercher les influences maritimes, il faut travailler sainement. En 2014, nous étions déjà très proches du bio, cela n’a donc pas été difficile d’amorcer le virage. Cela veut dire que l’on passe tout par les labours, on n’utilise que les produits enregistrés en bio et on ramasse 80 à 90% de nos raisins à la main, c’est un garant de la qualité des produits.

En cave, on est plutôt minimaliste. Et pour conserver la fraîcheur de notre région, nous mettons en bouteille assez tôt dans la saison, souvent avant la fleur de mi-juin, pour garder un petit peu de gaz dans la bouteille.

Enfin, une autre originalité : tous nos vins ont fait leur fermentation malolactique, ce n’est pas très nantais, mais j’aime bien, car les vins sont stables naturellement et n’a pas besoin de quantité astronomique de soufre ou de filtration importante. Cela donne des vins plus ronds, plus charmeurs peut-être, qui peuvent se conserver plusieurs années. »

Plus au sud

dartier

Le plus célèbre des climats maritimes se trouve à Bordeaux dont l’histoire est intimement liée à la Garonne, avec une influence qui va jusqu’à affecter les cépages plantés : cabernet sauvignon en Rive gauche et merlot/cabernet franc en Rive droite avec les grands vignobles de Pomerol et de Saint-Emilion plus éloignés de l’océan et qui ont besoin d’une saison plus longue.

Située dans l’estuaire de la Gironde, au confluent de la Dordogne et de la Garonne, et dominée par un fort construit par Vauban et classé Unesco depuis 2008, la ville de Blaye était autrefois le point de passage des navires qui se rendaient à Bordeaux ou qui faisaient escale sur leur route vers l’Espagne et le Portugal.

Nous sommes ici Rive droite sur des sols qui allient calcaires poreux, argile, sables et graves fines et qui offrent des conditions idéales pour la culture du merlot qui préfère les terroirs frais, comme en témoigne Pierre-Charles Dartier, du Château Cailleteau Bergeron situé depuis 1933 en AOP Blaye Côtes de Bordeaux.

« Nous sommes situés à 4 km de l’estuaire et à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau de l’océan. Le fleuve nous apporte un brouillard humide jusqu’à 3 ou 4 km à l’intérieur des terres qui peut amener de l’oïdium, et l’océan maintient une certaine humidité ambiante. Deux vecteurs différents qui amènent des maladies différentes.

 

Mais cela n’a pas que des inconvénients. L’océan et la rivière nous apportent aussi la fraîcheur dont nous avons besoin juste avant les vendanges et régulent les températures. Les Romains ne se sont pas trompés quand ils ont emmené la vigne ici, ce n’est pas pour rien.

Nous sommes en production agro-biologique maintenant et, même si c’est moins facile que dans un climat méditerranéen, la rivière apporte aussi une certaine acidité qui est recherchée aujourd’hui et une certaine fraîcheur avec un peu moins d’alcool dans les vins.

Elle est intéressante aussi pour la maturité du sauvignon blanc, pour accumuler les thiols, soit tout ce qui est arômes de pamplemousse, d’agrumes…»

La proximité de l’Atlantique apporte-elle un peu de salinité aux vins de Cailleteau Bergeron ?

« Non, pas la mer, répond M. Dartier sans hésitation, la salinité, on la retrouve surtout sur les îles de l’estuaire où il y a encore de la vigne, mais c’est avant tout une question d’équilibre sucre et acidité. Je ne me suis jamais arrêté là-dessus.

Par contre, on ne fait pas les mêmes vins dans le nord que dans le sud. Les vins des Côtes de Bourg par exemple sont plus charpentés que les nôtres car ils subissent moins d’influence de l’estuaire. Par rapport au Médoc, nous avons des sols argilo-calcaires à astérides, contre des graves juste en face. Nous avons des sols blancs qui restitue la chaleur en journée sur notre cépage-roi, le merlot, qui gagne en couleur grâce à cela. J’ai aussi du malbec et de la carmenère que j’essaie depuis deux ans et que j’assemble avec un peu de cabernet sauvignon que j’adore même si on n’en fera jamais un cabernet comme dans la plaine de la Bekaa au Liban, ou dans la Napa Valley. Notre microclimat joue tellement que finalement on le garde… Il nous permet de faire des vins plus sur la minéralité, avec des rendements moindres et surtout moins lourds que dans les années 1990 (moi-même je me suis installé en 1992 avec ma sœur). On a tous des périodes bleues ou roses, mais aujourd’hui la période est heureusement un peu plus verte… »